Huis clos suivi de Les mouches

de Jean-Paul Sartre

Quatrième de couverture:

GARCIN : - Le bronze...
(Il le caresse.) Eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent... (Il se retourne brusquement.) Ha ! vous n'êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses.
(Il rit.) Alors, c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru... Vous nous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril ... Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de grill : l'enfer, c'est les Autres.


Mon avis:

Je renoue vraiment avec le plaisir de lire du théâtre ces derniers temps. Ici encore j'ai apprécié ces deux pièces de Sartre. Je me souviens avoir suivi avec beaucoup d'intérêt l'étude approfondie de son oeuvre autobiographique Les mots. J'étais heureuse de le retrouver ici avec des textes qui m'ont plu.

Huis clos met en scène trois personnages emmenés dans une pièce quasiment vide. Ils sont morts. Ils ont commis des actes dont ils doivent assumer les conséquences: leur présence en enfer.
Cette pièce est très courte et je l'ai trouvé très bien menée. Peu d'échanges sont nécessaires pour mettre en évidence les failles de chacun et en quoi les autres peuvent appuyer exactement là où il faut pour engendrer leur souffrance.
Je replace enfin cette célèbre citation dans son contexte d'origine:
"Alors, c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru... Vous nous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril ... Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l'enfer, c'est les Autres."

Les mouches se situe dans l'Antiquité. Je ne m'attendais pas à trouver Sartre dans une pièce de ce style. Oreste revient à Argos, quinze ans après l'assassinat de son père Agamemnon, ayant échappé de peu à la mort lui aussi. Il retrouve une ville rongée par les remords dont les habitants payent le prix de leur complicité lors du meurtre de leur roi. Les mouches qui pullulent en sont les témoins. Jupiter se délecte de leur repentir. Oreste va venger son père et libérer sa soeur Electre de l'esclavage. 
J'ai beaucoup apprécié la tournure philosophique que prend cette tragédie lors des échanges entre Jupiter et Oreste. Les notions de liberté et de remords. 
Oreste assume ses actes et libère son peuple par son sacrifice.

Sa dernière tirade est d'ailleurs très belle:

"Vous ne criez plus ? (La foule se tait ). Je sais : je vous fais peur. Il y a quinze ans, jour pour jour, un autre meurtrier s'est dressé devant vous, il avait des gants rouges jusqu'au coude, des gants de sang, et vous n'avez pas eu peur de lui car vous avez lu dans ses yeux qu'il était des vôtres et qu'il n'avait pas le courage de ses actes. Un crime que son auteur ne peut supporter, ce n'est plus le crime de personne, n'est-ce pas ? C'est presque un accident. Vous avez accueilli le criminel comme votre roi, et le vieux crime s'est mis à rôder entre les murs de la ville, en gémissant doucement, comme un chien qui a perdu son maître. Vous me regardez, gens d'Argos, vous avez compris que mon crime est bien à moi; je le revendique à la face du soleil, il est ma raison de vivre et mon orgueil, vous ne pouvez ni me châtier ni me plaindre, et c'est pourquoi je vous fais peur. Et pourtant, ô mes hommes, je vous aime, et c'est pour vous que j'ai tué. Pour vous. J'étais venu réclamer mon royaume et vous m'avez repoussé parce que je n'étais pas des vôtres. A présent, je suis des vôtres, ô mes sujets, nous sommes liés par le sang, et je mérite d'être votre roi. Vos fautes et vos remords, vos angoisses nocturnes, le crime d'Egisthe, tout est à moi, je prends tout sur moi. Ne craignez plus vos morts, ce sont mes morts.Et voyez : vos mouches fidèles vous ont quitté pour moi. Mais n'ayez crainte, gens d'Argos : je ne m'assiérai pas, tout sanglant , sur le trône de ma victime : un Dieu me l'a offert et j'ai dit non. Je veux être un roi sans terre et sans sujets. Adieu, mes hommes, tentez de vivre : tout est neuf ici, tout est à commencer. Pour moi aussi la vie commence. Une étrange vie. Ecoutez encore ceci : un été, Scyros fut infestée par les rats. C'était une horrible lèpre, ils rongeaient tout; les habitants de la ville crurent en mourir. Mais un jour, vint un joueur de flûte. Il se dressa au coeur de la ville - comme ceci. (Il se met debout ) Il se mit à jouer de la flûte et tous les rats vinrent se presser autour de lui. Puis il se mit en marche à longues enjambées, comme ceci (il descend du piédestal), en criant aux gens de Scyros : «Ecartez-vous!» (La foule s'écarte.) Et tous les rats dressèrent la tête en hésitant &emdash; comme font les mouches. Regardez ! Regardez les mouches ! Et puis tout d'un coup ils se précipitèrent sur ses traces. Et le joueur de flûte avec ses rats disparut pour toujours. Comme ceci."

Commentaires

  1. J'ai découvert Sartre avec ses deux pièce et ce fut vraiment agréable. J'ai eu la chance d'assister à une représentation des mouches et de pouvoir rencontrer les comédiens après. Huis Clos faisait parti de mon dossier de BAC et c'est l'une des oeuvres qui m'a le plus plu cette année.
    Heureuse que tu ait apprécié

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